Une semaine que le mistral souffle sur notre belle Rade, laissant augurer un été calamiteux pour notre région.
Cloitré 3 jours durant, la faute à un vilain virus, j’envisage de pouvoir enfin remonter à vélo.
Il y a toujours dans ces moments-là un challenge qui vous pousse et vous conduit à tenter le coup…
Dans à peine plus de deux mois, je poserai de nouveau mes boyaux sur les pistes en terre battue de Toscane.
La grande messe de l’eroica célèbrera à nouveau, aux travers de son peloton bigarré, un cyclisme à l’ancienne sur un rugueux parcours serpentant dans le vignoble du Chianti.
Depuis un an je me suis promis de m’y rendre avec l’héritage de mon défunt aïeul.
Un vieux combo cadre fourche et deux bidons alus furent les seuls témoins en ma possession de son amour pour la « bicyclette » et la compétition. Il ne s’imaginait sûrement pas être à l’origine de trois générations de compétiteurs!
De long mois furent passés à amasser les composants d’époque en se tenant éloigné de la fièvre spéculative du vintage « is hype & beautiful ».
Et là, au bout du puzzle d’acier, de caoutchouc et de cuir a surgi un objet dont la seule valeur repose sur l’affect apporté à mon « papy ».
Il est vrai qu’avec 14 kilos, une fourche à la courbure d’un sabre Ottoman, l’absence de dérailleur et la présence de pseudo freins nous sommes loin des standards actuels!
Et justement comment faisaient-ils avant?
J’enfourche le tracteur la bicyclette et commence à dérouler… tant bien que mal le 48*22 pignon fixe qui l’équipe.
Oui c’est vrai il est équipé du summum de la technologie des années 20, un moyeux arrière réversible, pardon, « flip-flop », entendez par là muni d’un coté d’une roue libre (18 dents) pour les descentes et la plaine, et d’un pignon fixe (22 dents) pour les ascensions.
J’ai laissé de coté la paire de roues montée sur des jantes en bois et à boyaux réservée pour les « grands jours » pour une paire en acier à ferrer les ânes, profil en chapeau de gendarme et pneus en 35mm de section.
Un vrai pullman…
L’objectif du jour est l’ascension du col du Corps de Garde, rien de méchant, mais un « petit » challenge eu égard à l’embonpoint de la machine et à ma forme du moment.
Les premières rampes arrivent aux 4 chemins des Routes, et je revois les documentaires d’époque où sur la pellicule sépia, ces forçats s’arrachaient à la pente à la force du jarret, tanguant tels des bateaux ivres pour emmener ces horribles braquets.
Je commence à donner toute ma modeste puissance et la déformation de la roue arrière me rappelle vite à l’ordre, la danseuse délicate avec un tel angle de fourche me force un peu plus à oublier les axiomes de la vélocité et du pédalage en « rondeur » pour écraser du talon les antiques pédales.
Les hectomètres se déroulent, je trouve mon rythme et m’amuse du regard des quelques cyclistes que je double dans le joyeux cliquetis que font les bidons vides en alu sur mon guidon (oui tenter l’aventure ok, mais sortant d’un virus gastrique j’ai lâchement préféré ne pas boire dans ces récipients vieux de quelques décennies…).
Je les re-positionne pour profiter enfin du silence de cette ascension.
Ces moments là valent de l’or, seule la respiration et le vent dans les pins bercent ma progression, tout devient apaisant, fluide…
Le rendement du pignon fixe est plus qu’acceptable et je me surprends à finir facilement l’ascension.
Trois clichés plus tard en n’ayant point omis de me soumettre au rituel du retournement de roue pour utiliser la roue libre, j’entame, anxieux, le véritable challenge de la sortie: la descente!
Les freins ralentisseurs remplissent dans un long gémissement leur office, et je fais appel à toute mon expérience pour arrondir les trajectoires, ne pas faire trop chauffer les gommes dont la tendresse n’est plus qu’un très lointain souvenir… les mains au creux du cintre je dévale prudemment la pente pour m’en retourner plein d’admiration pour ces valeureux précurseurs.